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Mme Rose Moore, ma grand-mère, fait partie de ces personnes

qui m’ont aidé à découvrir la cuisine à travers ses propres acquis.

Fille d’un béké (blanc) & d’une mère antillaise elle-même cuisinière,

elle a été élevé dans les traditions martiniquaises.

 

Ancienne cuisinièredans un ancien domaine de Martinique aujourd’hui

  restauré, elle est à présent mère de sept enfants & cuisine tous les week-

   end pour eux afin de toujours réunir la famille ; & conserver cette mémoire

    qui lui a été légué & qu’elle me lègue aussi au quotidien.

 

      Atteinte d’un cancer et ayant subi une ablation, elle incarne la femme forte

      qui continue de vivre après la maladie & est heureuse du parcours qu’elle a

      accompli. Dans cette interview, elle livre un peu de son histoire & de son passé

      de cuisinière au magnifique Domaine St-Aubin de Sainte-Marie, en Martinique.

Rose Moore

J’aimerai savoir d’où te vient ton intérêt pour la cuisine, ce qui t’inspire et te motive à te retrouver devant

les fourneaux.


A peu près vers l’âge de 7 ans, j’ai perdu ma mère, morte à la suite d’une grave maladie. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir

dire que j’ai eu les conseils d’une personneet en particulier ceux de ma mère que j’aurai rêvé d’avoir. J’ai dû donc devenir très vite indépendante et me débrouiller, donc j’ai tout appris sur le tas. C’est en regardant les autres faire que je me suis fait à ce domaine et je peux dire sans prétention que j’ai appris tout ce qui touche à la cuisine toute seule.


Un peu plus tard, grâce à une femme avec qui jusqu’à présent j’ai gardé bon contact, j’ai pu avoir un travail au sein du Domaine St-Aubin de Sainte-Marie en Martinique. Étant devenue avec le temps une personne polyvalente & toujours en action, on m’a très vite attribué de nombreuses tâches. J’étais aussi bien standardiste pour gérer l’acceuil & les réservations de chambres,

à la buanderie, au service de chambres ;  j’étais pour ainsi quasiment gouvernante dans cet immense domaine. Mais la fonction que je préférais et qui me prenait le plus de temps était d’être en cuisine où je préparais de nombreux plats (grillades, calalou, gratins de papaye, de christophines, accras, blanc manger coco … ). L’obtention de ce travail et la possibilité de cuisiner tous les jours, m’a vraiment permis de perfectionner.

J’ai ce souvenir de quand on je me rendais avec toi au domaine, tu me donnais toujours un petit morceau de pain avec deux carrés de chocolat pour le goûter. Peux-tu me parler de tes motivations, ce qui t’a poussé & aidé

à cuisiner tous les jours ?


(Rires) Je me rappelle de tout cela. Tu avais à peine 7 ans quand tu venais avec moi. Je suis contente de voir que tu t’en rappelles. Pour répondre à ta question, comme je te disais, ce travail m’a permis de me perfectionner et de m’améliorer

afin de satisfaire tous les clients du domaine. Par rapport à mon travail, j’ai toujours vu la cuisine antillaise comme une façon

de faire découvrir de nouvelles saveurs aux touristes venant d’ailleurs. Le principal objectif était de recevoir le client dans

un cadre agréable et à l’écart de la ville, de le mettre à l’aise et lui faire découvrir la belle île qu’est la Martinique.

La cuisine antillaise est une cuisine du partage, une cuisine de découverte et une cuisine qui rassemble. Pour moi, la cuisine

est une façon d’exprimer ce que j’aime grâce aux produits que je travaille et que je façonne dans les différentes recettes que

j’ai appris à maîtriser.

As-tu partagé avec tes enfants les savoirs qui t’ont été transmis ?

S’y sont-ils intéressés à la cuisine autant que moi je m’y suis intéressé ?


Mes enfants, tes tantes & ton oncle, ne se sont jamais vraiment intéressés comme pouvant être une passion ; mais juste comme une nécessité. Je leur ai appris ce que je savais, ou du moins ils m’ont regardé faire, afin de pouvoir eux-mêmes cuisiner pour leurs enfants. Tu es le seul à en avoir fait une passion, à toujours me poser des questions, même si ce sont parfois les mêmes. (Rires) A l’heure actuelle des choses, je suis ravie que tous mes enfants sachent cuisiner & que j’ai pu te transmettre un peu plus que ce que je leur ai appris & donné.


Aujourd’hui, étant à la retraite, je cuisine pour ma famille & mes proches afin de les réunir, de passer du temps avec eux

& de leur faire plaisir. Je veux tout simplement transmettre de l’amour à travers ma cuisine.

Pour en revenir au côté plus technique de la cuisine, j’ai toujours remarqué que tu ne mesurais rien, que tu connaissais  les quantités, les dosages ... Tiens-tu tous ces automatismes et repères d’un carnet de recettes,

de repères visuels, de journaux ou peut-être d’émissions télé que tu regardais ?


Tous ces gestes, ces mouvements, toute cette mémoire que j’ai en cuisine, n’est pas innée. Au début, je me servais

des mesures, au milligramme près pour être sûre de ne rien rater. Mais à force d’expériences & de pratiques, tout est devenu plus facile & du coup plus rapide. A force d’avoir traité, manipulé et goûté les produits, associer leurs saveurs, les doser & les mélanger est devenu un jeu d’enfant. Je parle de jeu, car je m’amuse vraiment quand je suis en cuisine, je «joue» & je crée.
Tout est une question d’habitude et cette habitude s’acquiert toujours comme je dis, avec le temps & l’expérience. Tu te créera toi-même tes propres repères, tes propres mélanges & pourquoi pas tes propres recettes comme il m’arrive parfois d’en faire pour m’essayer à la nouveauté (Rire); si tu te souviens de ce gâteau au chocolat & au café un petit peu trop sucré.

Presque tous les dimanches, tu réunis la famille à la maison. Pourquoi cette envie de rassembler la famille ?

Que cherches-tu donc à transmettre à travers ta cuisine ?


Je suis à la retraite et tout ce que j’ai pour m’occuper c’est mon jardin et ma cuisine. De plus, les temps changent & la société est de plus portée vers l’étranger & des cultures différentes ; au détriment de leurs propres racines. Tout le monde mange chinois ou fait la queue au McDonald’s & cuisine de moins en moins à la maison.


Je me suis toujours refusée de tomber ou de laisser mes enfants tomber dans ce «vice» qu’est la mauvaise alimentation avec ses aliments aux provenances inconnues. À ma manière, je fais perdurer ma cuisine, la cuisine antillaise en continuant de lui faire honneur. Nous rassembler tous les dimanches, me permet donc de continuer à entretenir mes enfants dans cette hygiène de vie & de faire découvrir à mes petits-enfants & mes arrières-petits-enfants la cuisine de leur beau pays. Je suis très heureuse & je remercie le ciel de toujours être sur cette terre pour voir tout ce beau monde grandir, évoluer et pourquoi

pas un jour cuisiner pour leur «vieille» grandmère. (Rires)

La cuisine a l’air d’être avant tout familiale pour toi. Cela est-il dû à ton enfance ?

Aurai-tu un souvenir, une petite histoire à me raconter sur tout ça ?


Comme je te l’ai au début, j’ai perdu ma mère très tôt. Celle-ci a été cuisinière en Guadeloupe à l’Habitation La Grivelière,

mais je n’ai que très peu passé de temps avec elle. Les seules choses dont je me souviens, c’est quand elle me racontait

les réceptions qu’elle avait eu la chance de diriger, avec toutes ces personnes autour de la table, cette effusion, cette effervescence. Toute une famille qui rigolait, chahutait ...  Elle donnait tellement de vie à ses récits que j’avais l’impression

d’y être.


Emportée par la mort quand j’ai eu 7 ans, j’ai perdu une part de moi qui m’aura toujours  manqué durant mon enfance.

Je me suis toujours promise que même si mes enfants ne désirent pas partager ma passion pour la cuisine, mais au moins utiliser cette dite passion pour les réunir. Si je devais décrire en un seul mot ma cuisine, je dirai « FAMILIALE », car comme

je l’ai dit précédemment ma seule raison de vivre en cuisine est de réunir ma famille, de les entendre rigoler tous ensemble autour de la table.

  Nou sav tou lè dé, ke en bon manjé,

ka rassemblé tout’ moun !”

"Nous savons tous les deux, qu’un bon repas,

a toujours rassemblé tout le monde !"

Je me rappelle de l’odeur du Calalou (soupe verte) que tu cuisinais souvent quand je t’accompagnait au Domaine.

Y a t-il un plat que tu préfères préparer à part celui-ci ?


En fait, il n’y a pas qu’un plat que j’aime préparer, mais deux.
Les christophines, ainsi que les accras. J’aime les cuisiner, car ce sont des produits que l’on peut décliner sous plusieurs formes et plusieurs saveurs. Je peux aussi bien faire un gratin de cristophines mixées, qu’une salade de cristophines taillées

en petits dés. Concernant les accras, je peux très bien en faire des salés (accras d’oursins ou encore de crevettes),

comme des sucrés qui seront comme des beignets (beignets de bananes jaunes par exemple).

En rapport avec la question précédente, y a t-il donc un plat ou un produit que tu n’aimes pas cuisiner ?


Je ne dirai pas qu’il y a quelque chose que je n’aime pas cuisiner, mais plutôt qu’il y a certains plats qui sont plus compliqués que d’autres à préparer. Si je devais te choisir un plat tout de suite, ce serait le boudin créole.
 

Les fêtes sont vraiments des moments passionnants et magiques, mais qui demandent beaucoup de temps & de patience

& surtout beaucoup d’amour.  Il faut mettre les boyaux à saler, ensuite préparer la farce avec du pain mouillé, du sang &

de nombreuses épices. Il faut ensuite remplir les boyaux de farce, puis les ficeler & les mettre à cuire. C’est un plat très bon,

mais qui demande énormément d’énergie,  de temps et de savoir-faire. Heureusement qu’on ne fête Noël qu’une seule fois

dans l’année. (Rires) La préparation du boudin prend souvent beaucoup de temps, voire toute une journée (de la préparation

des ingrédients à la cuisson). Même si au bout de tout ce travail, la récompense est quand même de manger un bon morceau

de boudin créole chaud avec une tartine de pain grillé. (Rires)

Je sais aussi que tu as un jardin avec papi (Mr Wilbert Moore), où tu cultives tes propres légumes.

Au niveau de la cuisine, que cela t’apporte-t-il de plus ?


Tous les matins aux environs de 4 heures du matin à mon réveil, une odeur de café chaud flotte déjà dans l’air ambiant

de la maison car ton grand-père est déjà debout à préparer tout ce qu’il faut pour que l’on puisse partir au jardin. C'est est

une autre façon pour moi de continuer à être en mouvement. Même à la retraire, j’ai encore le goût de «l’action» dirons nous.

J’aime pouvoir bouger, rester sur place me fatigue. Qui plus est, beaucoup penserait que suite à mon ablation du sein je serai restée chez moi , mais je suis désolé de décevoir ces personnes, car je suis une petite femme d’action ! (Rires) Cultiver ses propres légumes est pour moi source d’authenticité et de bonne santé, car je sais ce que je mange et ce que je donne

à manger. Je sais d’où viennent les produits que j’utilise. Je cuisine et je mange frais et bio. J’aime mon jardin autant

que je peux aimer la cuisine. Pour moi, l’un n’ira jamais sans l’autre.

Le fait d’habiter et de travailler sur la commune de Sainte-Marie, a-t-il changer quelque chose à ta façon

de cuisiner ?


J’ai toujours grandi & vécu en Martinique et plus particulièrement à Sainte-Marie. Je ne dirai pas que cette commune a changé quelque chose à ma façon de cuisiner. La Martinique est une petite île & elle a des recettes qui lui sont propres, des recettes

qui fondent son histoire, des recettes qui  fondent sa gastronomie. Toute cette gastronomie traverse toutes les communes

de la Martinique, donc je ne pense pas qu’une commune ai une recette ou un plat qui lui est propre. La cuisine martiniquaise appartient à toutes les communes.

Si tu devais choisir un élément parmi tous les produits, les légumes, les épices que tu utilisent, que choisirai-tu ?


Si je devais choisir un produit, je pense que je chosirai directement et tout bonnement le sel.


Le sel est un attribut indispensable en cuisine, car c’est lui qui donne  le goût aux aliments, c’est lui qui fait le lien entre tous

les aliments dans l’assiette. C’est la base même de la cuisine. Un repas sans sel est un repas sans goût & je le dirai toujours. Pas trop de sel non plus. (Rires)

Si tu devais donner une astuce ou un conseil de cuisinière expérimentée, quel serait-il ?


La seule que je peux te dire et dire aux autre, c’est quelque chose que je me dis depuis que je suis petite & que je me dis encore. C’est peut-être tout bête et simple, mais ça m’a toujours aidé à aller jusqu’au bout de mes objectifs. Quand vous faites quelque chose, peu importe la tâche qui vous ai donné ou la mission que vous vous êtes lancé, il faut toujours le faire avec plaisir.

Quel que soit la nature du projet, il faut y croire. Cela vaut encore en plus en cuisine, car c’est un monde où il est autorisé

& obligatoire de persévérer & surtout ... de rêver!

Rose Moore

Sainte-Marie,

le 20 décembre 2015

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